"Sans mes cachets, je pète les plombs": la pénurie de certains médicaments inquiète aussi les Varois

Patrick Magnetto est président du syndicat pharmacien du Var FSPF83, vice-président de Paca Urps (Union régionale des professionnels de santé) et président de la Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) Est-Var Pays de Fayence. Le docteur en pharmacie, dont l’officine est basée à Fayence, assure "être quotidiennement confronté à la pénurie de médicaments qui frappe la France". Et explique que cela ne date pas d’hier: "Cette problématique est apparue il y a environ 3 ans avec la rupture du Doliprane en sirop pour bébé. La molécule de paracétamol a été l’une des premières à être touchée par la pénurie." Le début d’une longue série.
"Nous ne pouvons rien prévoir ni anticiper""Par la suite, de nombreux autres produits se sont retrouvés en rupture: des antibiotiques tels que l’amoxicilline mais aussi des médicaments comme la ventoline, la cortisone, ou encore la colchicine, qui est utilisée pour traiter les problèmes cardiaques, détaille le docteur Patrick Magnetto. C’est ingérable."
Alors, comment réagir dans de telles circonstances? " Nous ne pouvons rien prévoir ni anticiper, On se dépanne entre confrères lorsqu’on en a la possibilité. Parfois, les patients se rendent en Italie pour se procurer leurs médicaments. Mais ce n’est pas le but! On vit en France, ce n’est pas normal de devoir aller chercher ses traitements dans un autre pays. "
Actuellement, le docteur constate une pénurie concernant la sertraline. Un psychotrope utilisé comme antidépresseur, principalement prescrit pour les épisodes dépressifs majeurs et sévères. " Cela met en péril les traitements que suivent les patients. De plus, ça implique un travail quotidien dédié à la recherche du médicament, et c’est du temps perdu. C’est l’accès aux soins qui est détruit. "
Angoisses, décompensations et idées noiresLes personnes souffrant de troubles psychiatriques se retrouvent dans une situation plus que délicate. Pour elles, pénurie de médicament est synonyme de descente aux enfers. "C’est toujours complexe d’arriver à trouver un traitement qui stabilise un patient psychiatrique. Lorsqu’on y parvient, mais que ce dernier n’est plus en mesure de trouver son médicament en pharmacie et qu’il faut rapidement trouver un substitut, c’est très brutal et très délicat à gérer ", détaille le docteur Antoine Amagat, psychiatre à La-Seyne-sur-Mer, avant de donner quelques exemples. " L’absence soudaine de quétiapine, antipsychotique utilisé pour traiter la schizophrénie, a été très dure. Dans la foulée, nous avons fait face à une rupture de sel de lithium, un régulateur de l’humeur utilisé notamment dans le trouble bipolaire. "
"En tant que psychiatre, on est dépassé"Privés de leurs traitements, les patients atteints de troubles psychiatriques vivent alors une profonde détresse. Ces personnes, déjà vulnérables, se retrouvent plongées dans une insécurité médicale et émotionnelle profonde. "Cela entraîne de l’angoisse, un dérèglement de l’humeur, des idées suicidaires. En tant que psychiatre, on est dépassés par rapport à ça car nous ne sommes pas prévenus et ce sont les patients qui nous disent que c’est introuvable. C’est problématique car ce sont souvent des patients qui ont déjà eu des traitements qui ne marchaient pas vraiment et qui doivent alors trouver une alternative à ce qui fonctionnait bien. Le fait d’être dans le flou ne fait qu’augmenter leurs angoisses et le risque de décompensation brutale. Ça remet à jour leur fragilité et ça vient les faire se questionner sur leur futur et leur relation à l’autre."
Antoine Amagat confirme que les pénuries qui s’enchaînent depuis plusieurs mois relèvent de l’inédit. "J’ai commencé à exercer dans les années 1990. Des ruptures de psychotropes de ce genre, je n’ai pas le souvenir d’en avoir connu auparavant."
"Comme un junkie qui n’a pas sa dose quotidienne"Lisa (1) a 32 ans. Diagnostiquée bipolaire depuis 4 ans après plusieurs crises "inexpliquées et inquiétantes", cette Brignolaise décrit un quotidien désormais rythmé par les traitements.
Ces crises étaient en réalité ce qu’on appelle des "épisodes maniaques". "J’ai été hospitalisée à plusieurs reprises, les médecins et psychiatres que j’ai consultés à l’époque n’ont pas réussi à mettre un mot sur mes maux, tous pensaient que je faisais une dépression ", confie la jeune femme.
Après plusieurs années d’errance thérapeutique, elle rencontre enfin le psychiatre qui posera le diagnostic de trouble bipolaire. Avec le traitement qui va avec, et qui permet de la stabiliser depuis: le lithium.
"Vous n’imaginez pas ce qu’on peut ressentir""Sans mes cachets, je pète les plombs. Vous n’imaginez pas ce qu’on peut ressentir dans ces cas-là, c’est comme si j’étais en perpétuelle souffrance, à imaginer le pire. " Il y a quelques semaines, Lisa s’est retrouvée face à une situation plus que délicate lorsqu’on lui annonce en pharmacie que son médicament est en rupture de stock. " J’ai cru que j’allais mourir, le temps de trouver un médicament de remplacement adapté à ma bipolarité, j’ai vécu l’enfer."
Un enfer partagé par Elsa (1), elle aussi bipolaire. La Saint-Cyrienne a également fait face à la pénurie de son médicament. "Je prends 150 mg de quétiapine par jour. Il y a eu une rupture il y a peu de temps, et cet arrêt brutal a été très compliqué pour moi, il y a des effets de sevrages et les symptômes sont affreux: c’est comme un junkie qui n’a pas sa dose quotidienne, j’enchaîne les nuits blanches."
La jeune femme a elle aussi dû s’adapter: " Quand on se trouve face à une pénurie, il y a la solution de la libération immédiate et celle de la libération prolongée (2). Je bénéficie de la seconde. Ma psychiatre avait voulu me donner la libération immédiate, mais il n’y en avait plus. J’ai dû subir en attendant."
Une période d’attente non sans risques: "Les phases d’euphorie et de déprime sont très fortes, les personnes bipolaires sont plus exposées au suicide que les autres, les gens ne comprennent pas à quel point notre pathologie est dangereuse pour nous si nous n’avons pas notre traitement. Notre maladie n’est pas assez prise au sérieux. "
Var-Matin